On aurait pu se rencontrer un soir d’été au bord d’une rivière. Médiocre pêcheur, j’aurais posé ma canne et je l’aurais regardé, posant silencieusement sa mouche au millimètre et sortant des truites plus grosses les unes que les autres. On se serait salués. On aurait peut-être parlé de choses importantes, le vent, la couleur de l’eau, la qualité du poisson. Et, même, il m’aurait aussi montré quelques mouches en m’expliquant qu’il les faisait lui-même. Emmerveillé, je l’aurais distraitement écouté me dire qu’il était peintre. Mais moi la peinture à l’époque…
En le voyant partir, j’aurais pensé « s’il peint comme il pêche, ça doit être bien ». Mais il serait parti et je ne lui aurais pas demandé ce qu’il peignait. Ca m’aurait fait un bon souvenir et je ne l’aurais plus revu…
En fait, on s’est rencontré un jour de bise, à l’angle de la rue du Onze Novembre et la rue Laurent Florentin, au cul d’un camion. Un camion ou plutôt une vieille « trapannelle » qui pissait l’huile quand il chargeait la benne que, modestes archéologues, nous avions préalablement remplie de terre, après avoir prélevé au passage quelque tessonnaille et mis au jour quelques murs romains.
Un franc sourire, une poignée de main chaleureuse, il était naturellement sympathique. Un jour, il nous a dit qu’il était peintre. J’imaginais le peintre du dimanche. Et non, il avait du talent. Et il avait suffisamment vécu pour savoir que ça ne suffisait pas. Dans ses tableaux, il y avait aussi du travail. Et quand je revois aujourd’hui les tableaux de 1983 – 1984 que j’avais découverts aux expos, où je suis allé tiré par ma femme et poussé par mes potes, j’aime toujours chez lui la couleur, la lumière, la douceur, la force, ces paysages ou ces femmes imaginaires et si vrais.
Il a continué à peindre en dehors des heures de travail jusqu’à ce que le travail ne veuille plus de lui. Son camion l’a mis à genoux, à quatre pattes, à l’agonie. Quand il est ressuscité, il a dit : « Je serai peintre, complètement, et il faudra que j’en vive ! ».
Mais comment vivre de sa peinture ?
Jouer sa vie à chaque exposition ? Vendre son âme ?
Ses amis, à l’époque, étaient à peine capables de lui payer son travail à crédit. Alors, il ont inversé le problème : on paie d’abord un petit quelque chose à chaque mois et, en fin d’année, on se choisit un tableau en fonction du versement mensuel.
Ca n’allait pas très loin, mais il pouvait vivre. La différence, c’est que ce n’était plus lui qui faisait crédit, mais eux qui lui faisaient confiance.
C’est allé beaucoup plus loin le jour où un notaire poète est tombé là-dessus. Le Plan Epargne Tableau s’est transformé en mécénat. Et les prêteurs en mécènes. Et ça a tout changé. Ou plutôt ça lui a permis de vivre de sa peinture, bien, sans perdre son âme et sans abandonner ses idées sur le chemin ardu de la vie quotidienne. Il travaille comme il le souhaite. Des paysages en hiver, des nus en été. Il passe de l’aquarelle à l’acrylique, du dessin à la couleur, de la femme à la rivière, du figuratif à l’abstrait. Librement.
Et la peinture dans tout çà ?
Immergez-vous dans une toile, regardez la vibrer, rêvez dans la lumière et les couleurs, dans les tracés et les ombres. Et laissez-vous séduire. Et découvrez les oiseaux, les chevaux, les visages qu’il a cachés là où on ne les attend pas. Comme tous les gitans, Raymond est un peu magicien ou sorcier. Insensiblement, malgré vous, vous tomberez sous le charme de l’homme et de sa peinture.
Jean Marc BERRY